Un jour en septembre

Tout près de chez vous, entre ciel, eau et terre, il existe un royaume, celui des oiseaux migrateurs.

 

En septembre, ils sont de retour au Lac du Der (France).

C'est là au cœur de la Champagne, au beau milieu d'une des plus importantes zones humides de France (Convention de RAMSAR), sur les rives de ce fantastique et fabuleux site du Lac du Der, qu'ils se sont donnés rendez-vous par milliers, limicoles, Pygargue à queue blanche (Haliaeetus albicilla), Cigogne noire (Ciconia nigra), Balbuzard pêcheur (Pandion haliaetus) et bien d'autres encore...

 

Alors laissez-vous tenter par ce saisissant spectacle que vous offre cette nature de proximité.

Pour plus d'infos : antoinecubaixo.jimdo.com

 

Photos: Antoine Cubaixo

Gobemouche gris (Muscicapa striata) C'est le plus grand Gobemouche d’Europe, intégralement migrateur, ici en halte migratoire en Champagne avant son long et périlleux voyage vers le sud du Sahel.
Gobemouche gris (Muscicapa striata) C'est le plus grand Gobemouche d’Europe, intégralement migrateur, ici en halte migratoire en Champagne avant son long et périlleux voyage vers le sud du Sahel.

Fin d’été sur le Lac du Der (Texte d'un ami ornithologue souhaitant conservé l'anonymat, avec son aimable autorisation, merci l'ami des oiseaux...)

 

 

Ce matin, le jour tarde à se lever. Des nuées grises qui obscurcissent le ciel tombe un fin crachin, tandis que du sol détrempé par les pluies nocturnes s’élèvent d’interminables colonnes de brume.

 

En dépit de ces conditions météorologiques peu engageantes, j’honore mon rendez-vous avec l’aube à Noncerupt. Une quiétude, un silence envoûtant habitent ce lieu. La forêt, les roselières silencieuses paraissent désertes. Seuls les pépiements des bergeronnettes grises (Motacilla alba), dissimulées entre les blocs de pierre entassés en pied de digue, attestent de la présence d’une vie animale.

 

Alors que je suis du regard leurs envols, leur infatigable quête de nourriture, je découvre quelques bécassines des marais (Gallinago gallinago) dissimulées en bordure de la large zone marécageuse où s’épanouit la pesce d’eau (Hippuris vulgaris). Leur plumage marron rehaussé de rayures sombres, parallèles, s’étendant sur toute sa longueur, leur confère un camouflage efficace dans ces enchevêtrements végétaux palustres. Leurs déplacements furtifs, leur stricte immobilité, plaquées contre le sol, à la moindre alerte, contribuent eux aussi à leur remarquable discrétion. Une exploration plus minutieuse de ce secteur révèle la présence de nombreux individus. Ainsi, soudain, cette zone humide qui paraissait déserte, s’anime, s’égaie, et se révèle au contraire, débordante de l’activité d’une vie animale que son effacement, sa modestie, rendent invisibles à nos yeux humains, éblouis par l’éclat de nos écrans !

 

Dans l’anse de la carpière, où la baisse du niveau du lac a dégagé une vaste vasière, de nombreux limicoles picorent, sondent, explorent cette terre détrempée qui recèle tant de menus délices. Au sein des groupes d’oiseaux, d’espèces couramment rencontrées en ces lieux, à cette période de l’année, mon regard s’arrête sur la silhouette râblée, d’un individu bas sur pattes, au bec court, au poitrail arborant un large pectoral noir : le tourne-pierres à collier (Arenaria interpres), hôte fréquent des côtes rocheuses, est venu s’égarer en Champagne humide. Un adulte, flanqué d’un juvénile, au plumage dorsal écailleux, s’adonnent tous deux à leur occupation favorite : le basculement, le soulèvement des cailloux, sous lesquels se dissimulent les invertébrés dont ils se nourrissent ; comportement singulier qui leur a valu leur nom.

 

Parmi les espèces de limicoles de passage les mieux représentées sur le site, le chevalier arlequin (Tringa erythropus) mérite une mention particulière à deux égards : celle de la variabilité de sa robe et celle de la diversité de ses comportements alimentaires.

L’automne venu, les parures de l’arlequin légitiment son patronyme. En effet, des représentants de l’espèce en livrée grise, uniforme, côtoient quelques rares mâles quasi noirs et de plus nombreux autres au plumage gris maculé de sombre. Variantes déconcertantes pour le profane qui omet de noter l’identité de leur silhouette ainsi que celle de leur long bec filiforme, à l’ultime extrémité recourbée.

A l’instar de la plasticité de sa robe, celle de ses techniques de nourrissage est tout aussi étonnante : picoreur, il arpente prestement les secteurs dénudés récemment émergés ; sondeur des hauts fonds, il bascule tel un anatidé de surface, immergeant sa tête, son cou et son poitrail ; pêcheur en bande, progressant de front avec ses congénères dans l’eau peu profonde, il promène de gauche à droite son long bec, balayant devant lui la surface de l’eau à la manière de l’avocette (Recurvirostra avocetta)

En début d’après-midi, les rayons du soleil réchauffent l’atmosphère saturée de vapeur d’eau, suscitant l’apparition au dessus de l’étale du lac, de turbulences, restreignant l’observation aux abords immédiats des digues.

 

Les canards repus somnolent, jouissant de la douceur de la température et de la quiétude du lieu. Rassemblés par bandes, couchés à même la glaise, le bec sous l’aile, l’œil clos par cette curieuse paupière blanchâtre, ils semblent tenter de passer inaperçus tant leur livrée d’éclipse , d’un marron rayé de noir, commune à tous, dégage une impression de triste monotonie.

 

Soudain, les vanneaux (Vanellus vanellus) farouches s’égaillent en criaillant. La sombre silhouette du busard des roseaux (Circus aeruginosus) suspendue à ses longues ailes déployées, aux extrémités rehaussées, s’approche, planant au ras des touradons de laiches. Il se pose aux côtés d’un congénère occupé à dépecer le cadavre d’une carpe échoué sur la rive.

 

L’apothéose de cette journée d’exploration est, une fois encore, le spectacle époustouflant de la chasse du hobereau (Falco subbuteo). Deux rapaces patrouillent à grande vitesse au ras de l’onde dans l’anse de Sainte Livière. En dépit de leur vélocité, ils dévient, virent, tournent bride fréquemment. De temps à autre, las, ils s’élèvent, tournoient, ailes et queue déployées, aux aguets. Avant de replonger, à toute allure, au ras de l’eau, à la poursuite d’une libellule. Ils enchaînent ascensions verticales en vrille, et plongeons vertigineux. Que d’énergie dépensée pour la capture d’un frêle odonate dont la digestibilité du squelette chitineux paraît bien improbable !

 

Alors que je m’apprête à prendre congé, j’aperçois juché sur une branche dénudée du cadavre d’un peuplier, le petit faucon au manteau gris ardoise, aux bottes pourpres, à la tête rondelette barrée de cette large moustache noire qui souligne son gros œil  rond cerclé de jaune. Je reconnais un adulte, et suis donc tenu de constater que la chasse aux libellules n’est pas l’apanage des juvéniles, nonobstant sa maigre efficience énergétique.

 

 

Fin d'été sur le Lac du Der par auteur anonyme
2017 09 01 Fin d'été sur le Lac du Der.p
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